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Le blog de hubertherve75

« L’Homme se sentant femme » - extemporané d’un texte.

13 Novembre 2020 , Rédigé par Hubertherve75

 « L’Homme se sentant femme » - extemporané d’un texte.

 

 

« L’Homme se sentant femme » - extemporané d’un texte.

 

« L’Homme se sentant femme » fait partie de l’ouvrage Psychopathia Sexualis de R. Von Krafft Ebing (1). Elle est l’une des 447 observations qui jalonnent le cours de ce livre dans l’édition française de 1923.

Elle en est certainement l’observation la plus étonnante ; un homme, médecin d’origine hongroise, fait part dans une auto-observation précise, du phénomène étrange et énigmatique qui le tourmente depuis l’enfance, à savoir le sentiment d’être de l’autre sexe. Il décrit de façon rigoureuse ce sentiment qui l’envahit, qui semble lui convenir tout d’abord, puis contre lequel il lutte, avant finalement d’y consentir. Cette narration est un long voyage à travers le flux de féminité qui s’affirme en son corps et gagne son âme, au prix d’un discord avec le corps anatomique.

C’est ce récit que nous avons choisi de travailler dans le cadre de la formation APPS « Connexions, déconnexions, transformations des valeurs dans la pratique transférentielle ».

Se référer à un récit fait en 1886 pourrait paraître paradoxal pour une formation sur les connexions des valeurs transférentielles au XXième siècle; Nous prenons pour autant cette objection virtuelle comme un jeu au sens où Winnicott l’évoquait en 1975 dan son ouvrage « Jeu et réalité » lorsqu’il recommandait de prêter attention à la valorisation des paradoxes. Quels sont les axes pédagogiques que nous développons dans ce contexte ? Tout d’abord indiquer qu’avec l’orientation du transfert social nous ne parlons pas dans notre travail d’ « observation ». Il ne s’agit pas d’observer des personnes mais de partir du récit que produisent ces personnes à partir de leur histoire sociale. Il s’agit de prendre en considération un récit qui relate un drame humain pour en saisir avec la personne une signification qui questionne son rapport social. 

Ici nous avons donc un texte écrit en 1886 et il y aurait beau jeu à nos détracteurs de dire «  vous partez d’un texte et non d’un témoignage vivant et qui plus est ce  texte est daté du point de vue d’une évolution sociétale ! ». Cet argument est vrai et faux à la fois, paradoxal donc. Sa part de vérité relève du sens commun de même d’ailleurs que son interprétation contraire. Le sens commun ou  bien l’apparence naturelle n’est pas notre boussole. Notre boussole est l’outil que nous avons appelé transfert social. Pour travailler ce texte nous faisons un jeu de lectures à plusieurs afin de dire les contradictions portées par les lecteurs qui ont un vécu différent, jeu de lectures de choses sociales donc.

 

Ce qui est novateur dans notre lecture est de partir du transfert social qui s’appelle également transfert de valeurs Wertübertagung concept pris à Marx dans le Capital et qui nous sert à un autre usage : analyser le relations de valeurs qui vivent entre les mots, les images et les sensations de corps. et cela a plusieurs incidences aussi bien pour mettre en évidence  ce que nous avons théorisé comme « valeur de genre » dans la problématique transidentitaire aujourd’hui, que pour saisir le savoir insu dans l’étymologie historique du langage en tant qu’il est produit social. Ces échanges multiples et singuliers à la fois dans le travail de lectures à plusieurs faisant débat nous font associer vers l’aphorisme chinois bien connu : « 党群关系好比鱼水关系 » ( 2 ) « La relation du transfert de valeurs avec le texte lu comme chose sociale, c’est comme la relation du poisson avec l’eau » 

Un récit transférentiel d’un médecin qui écrit à un confrère, Richard von Krafft-Ebing connu pour une position de savoir supposée respectueuse des différences concernant la sexualité dans le contexte de son époque. 

Cette valorisation des paradoxes pédagogiques appelle à plusieurs remarques. Il s’agit de construire autre chose que ce qui a été produit par la psychanalyse classique et sa base qui repose sur le trio freudien « névrose, psychose et perversion » qui a été la référence pour les psychiatres jusqu’à la domination étasunienne du DSM. Il s’agit de montrer qu’avec cette donne du XIXème siècle il peut être produit autre chose que la référence à la psychose, concept dérivé de celui d’hygiène mentale. L’outil du transfert du social réel dans le mental  peut dire avec la rigueur scientifique nécessaire, la question de la santé dans le mental. Nous considérons cette approche scientifique dans un rapport de la théorie avec la praxis poétique qui se transmet là aussi de l’abord fait par Marx de la science économique, champ fertile encore inexploré, à peine fécondé.  Marx insistait sur ce point en écrivant à Engels en 1885 que ses écrits étaient une oeuvre artistique. (3)

Dans ce contexte il n’est pas étonnant de voir comment notre référence à Marx comme outil transférentiel y nage donc comme un poisson dans l’eau : « dans cette nuit peuplée des mots, images et sensations, la relation du transfert de valeurs avec le texte lu comme chose sociale, c’est comme la relation du poisson avec l’eau »

 

La base du réel de Marx, Wirklichkeit, est le transfert de valeurs dans la vie sociale et son insu, transfert pratique du faire. Le corollaire est que l’inconscient qui ne peut être une entité est l’insu du faire. Comme extemporané du texte nous pouvons nous servir de la thèse 3 Ad Feuerbach ,  celle de l’auto changement ( Selbstveränderung) : A partir de cette thèse, Il ne s’agit pas d’opposer le Moi aux contraintes de la vie sociale comme le bon sens psychologique le voudrait mais de dépasser ce point de vue « égoïste » en rappelant que les humains sont acteurs de leurs vies, « agents , effets et produits des rapports sociaux ». C’est dans ce contexte que nous avons dans l’extemporané insisté sur les termes d’impératif social et de moquerie sociale qui transparaissent dès la fabrique de l’infans, et non celui de Surmoi. Cet impératif social dans le texte autobiographique est : « das schickt sich für einen Buben nicht », « cela ne se fait pas pour un petit garçon ». L’emploi du mot Surmoi en effet aurait tendance à faire fonctionner un concept tout seul, « C’est le surmoi !, on l’a reconnu, il est là ! » , instance structurelle métaphysique héritière du Complexe d’Oedipe, qui expliquerait les comportements du Moi via l’angoisse de castration sans parler du rôle du meurtre du chef de la horde sociale et le mythe de l’intériorisation…La métapsychologie freudienne porte en germe la transformation de la vie en concepts qui fonctionneraient tous seuls indépendamment  de la vie sociale réelle.

 

Autres extemporanés du texte : l’ordre, l’origine et la faute. 

Quel est l’ordre d’un texte, que signifient l’ordre des mots, la syntaxe ?  Le transfert de valeurs ne ravale pas le discours au langage. Un discours cela court, cela est aussi fait d’images et de gestes du corps. C’est ainsi que nous prenons l’ordre du discours. J’écrivais en 2017 dans le magazine Nepcebook  dan l’article « Distorsions et créations dans la poésie d’ Antonin Artaud » : 

« Dans l’histoire de la poésie, Antonin Artaud fait rupture. Il y a dans ce champ, comme dans les autres champs de la vie humaine, marque d’une rupture radicale engendrée par l’oeuvre d’ Artaud : un avant et un après Antonin Artaud.

Cet acte de franchissement qu’il effectue n’est pas confiné au registre du simple mécanisme de  déplacement -  déplacements de mots, d’images, de sensations de corps. En effet, ce mécanisme humain à la fois commun et essentiel ne change pas par lui-même un ordre. L’envergure de la conséquence de l’acte poétique est bien plus large et concerne rien de moins que l’anarchie, soit le refus d’un ordre préétabli reposant sur un principe arbitraire. Artaud l’indique clairement dans Le théâtre et la peste  : « la poésie est anarchique dans la mesure où elle remet en cause toutes les relations d’objet à objet et des formes avec leurs significations »

 

« C’est ici que s’inscrit dans le croisement entre la vie sociale, la poésie et l’anarchie, la question de la distorsion qui est motrice dans toute œuvre créatrice. 

À quoi renvoie la distorsion ? La signification du mot distorsion historiquement concerne le tour, via le verbe Distordre : « tourner de côté et d’autre ». Le début du faire anarchie dans un ordre est à saisir dans la supposition née d’une ambiguïté qui pousse d’un côté et qui pousse de l’autre, ambigere ; Puis vient le temps du tordre, Distorquere. C’est ce Distorquere qui donne force et puissance au fameux tour sur lequel s’appuie les mécanismes qui peuvent faire révolution et création artistique : retournement et renversement dans la vie, dans le rapport aux objets, aux formes qui nous accompagnent. La distorsion concerne le corps et la forme  : ce mot a été introduit en français avec le sens de « torsion d’un corps, d’un membre » puis s’est développé pour désigner «  une déformation optique, sonore ou visuelle ». Touchant la tension qui existe dans les pulsions du corps entre l’oeil, la voix, le sexe, la distorsion est à la fois agent, effet et produit de la création artistique et sociale à travers le rapport aux formes optiques, sonores, visuelles. 

La poésie anarchique d’Antonin Artaud libère de façon exceptionnelle les « pouvoirs faire » à partir d’une autre base que celle du sens commun et de son ordre. »

C’est avec ce savoir croisé avec cette citation que nous pouvons aussi lire le texte de « l’Homme se sentant femme. » Les distorsions entre le corps et la forme seront au centre de nos préoccupations. La forme-valeur chère à Marx y sera articulée pour travailler ce qu’est un ordre, sa base nouée. 

C’est à partir de là que nous travaillerons les poussées contraires dans la pratique de la vie sociale réelle liées aux ambigüités. S’articulent à ce point précis la question de l’origine et de la faute. L’origine tient toujours place d’une mystification en réponse à une menace, toutes les formes de racisme sont là pour le prouver. Le défaut porte la question de la faute originelle. J’indiquais toujours dans le même article de Niepcebook l’apport d’Antonin Artaud à ce sujet : 

 

« L’origine tient toujours place d’une mystification en réponse à une menace, toutes les formes de racisme sont là pour le prouver. Artaud brise cela et constate que dans l’emploi du mot en société quelque chose échappe. Il ne s’agit pas du manque dont raffolent certains psychanalystes mais de ruptures entre les humains du côté des significations. C’est ici que se placent les oublis, les répressions et destructions, les séparations qui posent la question de la responsabilité sociale  : de quoi a -t-on à répondre face à ces distorsions dans les significations ? Artaud voit des choses que les autres ne voient pas à savoir les distorsions en rapport avec la vue, l’ouïe et les sensations de corps. À partir de ce fait de la distorsion viennent les distords soit les tords, les fautes qui viennent en réponse à l’attribution de la responsabilité centrale dans la vie sociale : celle de la destruction

Ce tour dans l’attribution d’un tord est une question majeure pour les civilisations. 

Artaud porte dans son histoire cette formulation sociale de la faute, sa psychiatrisation en témoigne. »

Ce sont ces points de croisements multiples que nous pourrons travailler les connexions du XXIème siècle, aussi bizarre que cela paraisse. Nous y reviendrons donc !

 

 

Hervé Hubert

(1)  Krafft-Ebing R. Psychopathia Sexualis, Payot, Paris, 1958

(2) Mao Ze Dong « la relation du parti avec le peuple c’est comme la relation du poisson avec l’eau.» (en pinyin : Dǎng qún guān xì hǎo bǐ yú shuǐ guān xì)

(3) Voir marximum.net « Vous avez dit Marximum ? » https://www.marximum.net/our-story

 

 

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